Page d'accueil de la Société des Amers de Crèze La légende de la Princesse et du Poisson-Lune    
 
  Il y a très longtemps, la Touraine était envahie par une mer tropicale, la Mer des Faluns. Cette mer s’est peu à peu retirée et il ne resta bientôt plus que des étangs ; tous les poissons, crustacés, coquillages et animaux de mer ont fini par partir ou disparaître à tout jamais.

Dans un de ces restes de lambeaux de Mer des Faluns, vivait un petit poisson-lune ; celui-ci menait depuis très longtemps une vie tranquille dans son étang mais ses amis avaient fini par tous s’en aller car l’espace se réduisait inexorablement et, encore quelques siècles, il ne resterait rien de son monde.

Un beau jour de tempête, il prit la décision de quitter son étang ; il avait appris par des amis qu’il existait au-delà du soleil couchant, une autre mer encore plus grande que l’on appelle l’océan, il pourrait très certainement y retrouver de nouveaux amis et un nouveau monde à découvrir.

Maintenant, il fallait profiter de la tempête, de la montée des eaux pour passer le déversoir de son étang. Au coucher du soleil, alors que les nuages commençaient à se déchirer, la lumière des étoiles lui permit de sauter l’obstacle et alors de commencer le périple de sa nouvelle vie.

En suivant le canyon de Courtineau, vallée étroite qui avait dû servir à vider la partie méridionale de la Mer des Faluns, notre petit poisson-lune suivait les méandres d’une des Manses et découvrait avec amusement et étonnement tous ces nouveaux lieux. La première étape pour se reposer fût la Chapelle Notre Dame de Courtineau où figurait sur son fronton, le signe de la Lune, quelle étrange rencontre ; était-ce déjà un signe du destin ?

Au petit matin, il reprit le cours de son voyage ; de Manse en Manse, de boires en déboires, il rencontra enfin un étrange poisson tout en longueur qui venait à contre-sens et en profita pour le questionner sur son propre parcours. Ce poisson était une anguille et, chose étonnante, il faisait le même chemin mais à l’envers pour se rendre à Avon les Roches ; quelle aubaine pour notre poisson-lune, enfin quelqu’un qui pourrait le renseigner utilement sur les dangers et les étapes de ce grand voyage.

L’anguille était une mine d’informations et douée de malice et de sagacité. Elle l’interrogea tout d’abord avec curiosité sur ses motivations et lui indiqua ensuite le bon itinéraire : « après la bouche de la Manse, tu prendras le fil de l’eau à main droite et tu te laisseras aller jusqu’à l’Océan, le Grand, mais fais bien attention car le trajet est long et peuplé de dangers ; tu devras aussi changer ton nom, là-bas point de poisson-lune, seul le Kousker est connu et accepté ».

Sur le point de repartir, l’anguille se retourna sur notre poisson-lune et lui tint ces propos : « Poisson-lune, si tu recherches des amis et un nouveau foyer où il fera bon vivre, sache qu’il existe souvent à proximité de soi ce que l’on cherche très loin ; pour cela prends donc le ruisseau à main gauche que l’on nomme Pouillet après l’île aux macchabées et remonte-le entièrement ; tu passeras devant le Bois Légat, la Brèche et tu prendras le fossé jaune qui te conduira à Crèze, c’est là que se trouve la princesse qui t’attend ; attention, si par inadvertance, tu devais remonter la source de la Guénée, tu n’y rencontrerais que Saint Pierre ».

Fort de ces conseils, le Kousker, nouvellement baptisé, rejoint le ruisseau et arrive au hameau de Crèze, situé à l’orée des grands bois d’Ambourg où se trouvent le Gouffre sans fond, le four de l’Ecu ainsi que la Mare d’Ambourg.

Au milieu du village, notre petit Kousker découvre le vieux logis Renaissance de La Dame de Crèze, c’est le nom qui a été donné à la princesse par les gens du pays. La maison est vide, point de Dame, mais un agréable fumet flotte dans la cuisine et cela provient certainement de la marmite qui mijote à petit feu dans l’âtre de la cheminée. Le couvert étant mis et sa fringale aiguisée par le voyage, notre ami se met à table et se sert une assiette creuse de bonne soupe, le tout arrosé d’un breton frais et généreux. La digestion aidant, notre petit Kousker fatigué par un si long périple s’endormit d’un coup.

Pendant ce temps-là, La Dame de Crèze jouait aux palets avec Gargantua près de Grosbois où elle venait de gagner, pour une fois. Sur le chemin du retour, elle songeait avec tristesse à sa solitude ; Dieu qu’elle aimerait avoir une compagnie, mais jamais elle ne voyait passer âme charitable pour rester avec elle. Les jours se suivaient et se ressemblaient, pas un rayon de soleil pour lui rendre une vie plus douce et sucrée. Qui accepterait de rester avec elle comme compagnie ?

Entrant dans sa cuisine pour manger un morceau, elle découvre le petit poisson-lune endormi sur la table ; sa surprise fut importante car d’où pouvait venir un tel animal que l’on n’avait jamais vu dans la région de mémoire d’homme. Elle le réveilla doucement et lui demanda de lui conter son aventure tout en buvant ensemble des boissons, dont elle seule avait le secret.

Après avoir mieux fait connaissance, elle lui proposa de devenir son Kousker de compagnie car il ferait un très respectable animal de compagnie et de plus à la hauteur de son rang. Depuis ces temps lointains, il arrive qu’après les jours de tempête, les gens des villages environnants rencontrent La Dame de Crèze et son Kousker, son inséparable compagnon poisson-lune, qui se promènent de bois en bosquets, de vigne d’Aubigny au clos des Bouquaires, à la recherche de l’amitié et du bien vivre.

Qui sait si, un jour, d’autres aventures ne tenteront pas nos deux nouveaux amis ?


C’est pour conserver en mémoire cette vieille légende tourangelle que nous avons souhaité associer les noms de nos Apéritifs de Touraine à ceux des personnages de ce conte :

La Dame de Crèze et le Kousker